Acte I
Scène 3
Montcalm, d'Assas
Montcalm
Vive Dieu, cher d'Assas, à ton dernier message
Je suis fier de répondre en venant en ce jour
Oublier près de toi les charmes de la cour
Et m'abriter un peu sous ce charmant feuillage
Qui cache le castel d'un jeune et noble ami !
Ici du moins nos cœurs pourront causer à l'aise.
d'Assas
Oui Montcalm, je connais ta belle âme française
Merci d'être venu, mon cher ami, merci
Avant que nos amis ne viennent pour la fête
Je veux t'interroger, et, pendant un moment
Réveiller les échos de nos âmes d'enfant
Dans un doux entretien, charmant tête-à-tête
Oui je suis bien heureux Montcalm de te revoir
Et comme les beaux jours rappellent l'hirondelle
Au toit hospitalier, mon amitié t'appelle
Afin qu'à mon foyer tu reviennes t'asseoir !.
Dis-moi donc tes désirs, dis-moi tes espérances
Et comme un ruisseau d'un flot limpide et pur
Fait couler dans mon coeur sous ce beau ciel d'azur
L'onde de la pensée en douces confidences.
Montcalm
Oui, d'Assas, nos deux cœurs battent à l'unisson
Par des anciens chrétiens valeureux et fidèles
Nous fumes élèves, d'Assas, tu te rappelles
Mon vieux père luttant pour l'honneur de nos noms.
d'Assas
Du mien au fond du coeur j'ai gravé la devise
"Spere francès" c'est le mot d'ordre des d'Assas
Jamais, me disait-il, mon fils ne faillira.
Oui, père, à tes avis, mon épée est soumise
Ce que j'étais enfant, sans votre bras tuteur
Homme je le voudrai prouver bien plus encore.
"Spere francès"[i], vrai cri que j'aime et que j'honore
"Spere français" pour Dieu, pour le droit, pour l'honneur.
Montcalm
Vive Dieu, cher ami, vive Dieu car notre âme
Est pétrie avec le même sang généreux.
Le chevalier d'Assas et Montcalm tous les deux
Aux mêmes feux nous puisons leur vive flamme.
(ils s'embrassent)
Mais puisque de ton nom l'antique souvenir
[ii]
Te procure à la cour un accès bien facile
Viens avec moi d'Assas en quittant cet asile
Nous irons voir le Roi, c'est là mon vif désir.
d'Assas
Non, Montcalm, je sais trop ce que le Roi de France
Oublie en ses plaisirs de Versailles et je veux
Attendre pour le voir des jours plus glorieux
Car j'en ai dans mon coeur la suprème espérance
Le gentil Roi qu'on appelait le bien aimé
Reprenant les élans de son ardeur guerrière
Va bientôt punir la perfide Angleterre
De ces cruels défis. Contre un français armé
Aucun anglais ne peut disputer la conquête.
Montcalm
Oui, je te reconnais à ces mots, cher ami,
Au vaillant peuple franc, le Roi Louis uni
De ce peuple insolent hâtera la défaite.
Aux coups des plaisirs, un Montcalm à la cour
Un instant a bien pu laisser tremper sa lèvre
Mais l'amour du pays sait imposer sa trêve
Un Montcalm au devoir ne cède pas sur tous.
Qui donc fit nos aïeux tous forts, tous invincibles ?
Qui donc pour le pays arma si bien leurs bras ?
Pourquoi tant de lauriers tombaient sous leurs pas ?
A l'honneur pourquoi donc furent-ils si sensibles ?
Leur recul ? C'est l'amour de la France et du Roi.
d'Assas
Ces nobles sentiments sont tous la récompense
De nos pères aimés dont le coeur, la vaillance
Ont passé dans nos cœurs avec leur vraie foi.
Aussi bien sur ce sang qui coule dans nos veines
Un Dieu que réjouit la bravoure des francs
Sur notre honneur jurant que tous ces sentiments
Seront plus durs en nous que les rocs des Cévennes.
Oui ....
Montcalm
Voila nos amis qui vont tous arriver
Écartons avec soins tout signe de tristesse
Et soyons tout en ce lieu à la vive allégresse
De fidèles amis fiers de se retrouver.
Allons, cher chevalier, allons donc, allons vite
Je crois ouïr déjà leurs joyeux ébats.
Gentilshommes voisins, officiers et soldats
Ils viennent.
d'Assas
Permettez qu'encor je les évite
Malgré moi tout mon coeur est encore saisi
De noirs pressentiments qui tiennent tout mon être
A toi seul, cher Montcalm, je les ferai connaître.
[ii] - Preuves de noblesse établies depuis 1380 et permettant aux d'Assas de prendre place dans les carrosses de la cour
- Note de M. Boiffils de Massanes de Sumène.